Certes, cette interview a été largement transcrite sur de nombreux sites webs mais je n’ai jamais, jusqu’à présent, trouvé de version française de celle-ci. Elle est intéressante à double titre : elle explique à la fois les parties et le tout de « The Wall ». Vance et waters font en effet des allers-retours entre l’explication du concept et la description des titres de l’album.
Je n’ai pas voulu faire une traduction littérale en raison de la présence de plusieurs facteurs :
Tout d’abord la nature-même de l’exercice. Ce jeu de questions-réponses orales amène chaque interlocuteur à se répéter et à à insister dans ses réponses. J’ai par conséquence élagué le texte et plus particulièrement les enchâssements propres à la langue anglaise
Ensuite, la facon de parler de Waters est assez élusive. Les points de suspension marquant des respirations dans sa pensée sont difficiles à reproduire car il repousse ensuite en bout de phrase des éléments de réponse accompagné de « and ... and ... ».
J’ai donc découpé ces bouts en phrases courtes pour une meilleure lisibilité.
De plus, l’usage très anglais de la forme passive m’a obligé à reformuler certaines phrases en une forme active (plus proche de la syntaxe française) afin d’en alléger la lecture.
Enfin, étant donné que des extraits du livret de « The Wall » sont cités en permanence, je me suis permis de traduire ces passages lorsque cela semblait important au sein de la discussion. J’ai néanmoins mis entre crochets les « original lyrics » afin que chacun sache à quelle partie de « The Wall » ces citations font références.
Vance : D’où t’es venue l’idée de « The Wall »?
Waters : Et bien, l’idée pour « The Wall » découle de 10 ans de tournées, je pense en particulier aux dernières années - en 75 et en 77 - où nous avons joué devant de très larges publics. Certains qui étaient les plus anciens de nos fans venaient nous voir, mais d’autres étaient seulement là pour la bière, pour être dans de grands stades ; par conséquent faire ces spectacles est devenu une expérience aliénante.
J’ai pris conscience qu’un mur existait entre nous et notre public, cet enregistrement a été comme un moyen d’exprimer ces sentiments.
Vance : Mais cela va un peu plus loin que ça je pense car le disque semble débuter avec la vie du personnage.
Waters : L’histoire a considérablement évolué depuis que j’ai commencé à l’écrire il y a deux ans (1977). Cela parle maintenant de l’expérience-même du ‘concert’. En fait l’album démarre par un concert puis repart en arrière dans une sorte flash-back pour relater l’histoire du personnage (où si vous préférez de "Pink" lui-même - peu importe qui il est). Mais, au départ, tout est parti de ces spectacles horribles.
Vance : Quand tu dis "horrible", tu veux dire que tu ne voulais réellement ne pas y participer.
Waters : Ouais, c’est cela, notamment parce que les gens que tu apperçois de la scène ne correpondent qu’à 20 ou 30 rangées de corps informes.
Et, dans certains cas (...), ils ont tendance à se coller en paquet tout en se balançant frénétiquement. Il est alors très difficile de jouer dans ce genre de situation : en les voyant crier, hurler, en les voyant jeter des objets, se frapper, se bousculant les uns et les autres tout faisant exploser des pétards... tu vois...
Vance : Huh-huh
Waters : Je veux dire que j’aimerais passer un bon moment mais c’est dur d’essayer de jouer dans cet environnement. Mais j’ai senti en même temps que c’etait une situation que nous avions nous-mêmes créée à travers notre propre avidité ; vous savez, quand vous jouez dans des endroits très vaste... La seule raison de jouer dans de tels endroits est de faire de l’argent.
Vance : Mais, dans ton cas, cela ne serait sûrement pas économique, voire "faisable", de jouer dans des endroits de petite taille.
Waters : Et bien, cela ne sera pas le cas pour ce ‘show’ car ce spectacle perdra de l’argent, mais pour les tournées dont je suis en train de parler, la tournée européenne et anglaise de 75 et la tournée européenne et anglaise et aussi américaine de 77, nous avons fait du fric. Nous avons fait un paquet d’argent sur ces tournées parce qu’on jouait dans des lieux importants.
Vance : Qu’est que vous voudriez que le public fasse – comment aimeriez-vous que l’audience réagisse à votre musique ?
Waters : Je suis réellement heureux qu’ils fassent ce qu’ils leur semblent nécessaire de faire car ils ne font qu’exprimer leur réaction de la manière dont ils entendent. D’une certaine manière je pense qu ‘ils ont raison, tu sais ; ce sont ces shows qui sont une catastrophe.
Vance : Hum
Waters: Il y a l’idée, ou il y a eu l’idée, communément admise depuis plusieurs années, que c’est une expérience [les concerts] merveilleuse et vivante et qu’il y a un contact fabuleux entre le public et les musiciens sur scène. Mais je pense que ce n’est pas vrai, je pense qu’il y a de nombreux cas où ce n’est pas le cas... euh... c’est réellement une experience assez aliénante.
Vance : Pour le public?
Waters : Pour tout le monde
Vance : Il s’est passé deux ans et demi depuis la dernière fois que vous avez sorti un disque et je pense que les gens seront intéréssés d’apprendre combien de temps cela prend pour développer un album.
Waters : Et bien, nous avons fait une tournée qui a fini je pense en juillet ou en août 77*, et quand nous avons fini cette tournée à l’Automne de cette année c’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire.
Cela a pris un an, travaillant dans mon coin jusqu’au juillet suivant puis j’ai fait une maquette de près de 90 minutes de matériel que j’ai joué aux autres gars. Nous avons alors commencé à y travailler tous ensemble en Octobre ou en Novembre... En Octobre 78, nous avons commencé à travailler dessus.
* En réalité, le 06 juillet 1977 au stade Olympique de Montréal, Canada [NDT]
Vance : Et vous avez cessé concrêtement d’enregistrer le disuqe en novembre de cette année je crois?
Waters : Ouais. Nous n’avions pas commencé à enregistrer jusqu’à l’année suivante, jusqu’en avril de cette année. Mais nous avons répêté et joué et évidemment ré-écrit quelques trucs. Ainsi, cela a pris beaucoup de temps mais nous avons toujours tendance à travailler très lentement de toute façon car c’est difficile.
Vance : Le premier morceau est In the Flesh?
Waters : Ouais
Vance : Il permet de montrer ce que le personnage va devenir...
Waters : Oui
Vance : ... A la fin.
Waters : je ne l’aurais pas mieux dit! C’est une référence à notre tournée de 77 qui s’appelait « Pink Floyd in the Flesh ».
Vance : Ensuite, vous avez alors un morceau appelé The Thin Ice.
Waters : Ouais
Vance : C’est là, je pense, le tout-tout début du personnage appelé ‘Pink’.
Waters : c’est vrai
Vance : Le tout début de la vie de "Pink" ?
Waters : Ouais, absolument, ouais. En fait à la fin de In the Flesh vous pouvez entendre quelqu’un qui crie « envoyer les effets sonores » ["roll the sound effects"] da-da-da et vous entendez le son de bombardiers ; cela vous donne quelques indications sur ce qui arrive. Dans le "show" c’est encore plus évident. Donc, c’est un flashback, nous commençons à raconter l’histoire. Cela parle littéralement de ma géneration.
Vance : De la guerre ?
Waters : Oui, des "bébés de la guerre". Mais cela pourrait également concerner quelqu’un qui est quitté par quelqu’un d’autre si vous préférez.
Vance : Cela vous est arrivé.
Waters : Oui, mon père a été tué à la guerre.
-Diffusion de IN THE FLESH?-
- Diffusion de THE THIN ICE-
Vance : Là nous avons Another Brick in the Wall (Part 1) qui porte justement sur ce père qui est parti.
Waters : Oui
Vance : Bien que le père dans l’album a en fait «traversé l’océan...» («has flown across the ocean... »]
Waters : Oui
Vance : Là on peut supposer à l’écoute qu’il pourrait être parti quelque part ailleurs.
Waters : Oui, effectivement, cela pourrait être le cas ; vous voyez cela marche à plusieurs niveaux, je veux dire que cela doit marcher pour n’importe quelle génération en fait.
Le père est aussi ... Je suis père également. Tu sais, les gens qui quittent leurs familles pour voyager et travailler - non pas que je veuille quitter ma famille pour voyager et travailler - mais un certain nombre de personnes le font et l’ont fait.
Donc, ce n’est pas une simple histoire sur quelqu’un qui fut tué à la guerre ou qui grandit et va à l’école, etc... mais, plus géneralement, sur le fait d’être abandonné.
Vance : The Happiest Days of our Lives est une condamnation complète, et je le vois ainsi quand je l’ai entendu sur l’album, de la carrière professorale.
Waters : Hum. Ma scolarité ressemblait beaucoup à cela. Oh, c’était horrible, c’était vraiment terrible. Quand j’entends des gens qui se plaignent de la vie d’aujourd’hui et qui réclament le retour des "Grammar school"*, cela me rend assez malade de les écouter parler. Car j’allais à une école secondaire pour garçons et bien que ... Je veux simplement dire que certains professeurs qui ont enseigné là-bas étaient des mecs très bien... Vous savez, je ne veux pas condamner l’ensemble des enseignants mais les "mauvais" peuvent vraiment faire mal – et ils étaient quelques uns dans l’école qui était incroyablement mauvais et traitaient les enfants si mal, les rabaissant tout le temps vous savez.
Il ne les encourageait jamais à faire des choses, n’essayant jamais réellement de les intéresser à quoique ce soit, essayant juste de les garder calme et tranquille et les modelant pour qu’ils adoptent la bonne attitude (...)
* Il y avait en Angleterre deux types d’écoles secondaires les "Secondary School" et les "Grammar School". Les premières ressemblent aux écoles françaises basées sur le modèle dit du "collège-unique", les secondes se fondent sur la sélection à l’entrée sur la base de tests. Cette particularité anglaise a été supprimée puis rétablie sous l’administration Tatcher.
Vance : De quoi parle Mother ? Quelle sorte de mère est cette mère ?
Waters : Surprotectrice, comme le sont la plupart des mères. Si vous pouvez lever une objection envers les mères est qu’elles tendent à trop protéger leurs enfants. Trop et trop longtemps. C’est tout. Ce n’est pas un portrait de ma mère, bien que, certaines fois, une ou deux choses qui sont là-dedans s’appliquent très bien à elle, comme sûr aux mères de la pluspart des gens j’en suis sûr.
De manière assez drôle, un certain nombre de personnes s’y reconnaît et d’ailleurs une femme que je connais a entendu l’album l’autre jour, m’a appelé et m’a dit qu’elle l’adorait.
Elle m’a dit qu’elle a ressenti de la culpabilité à l’écoute de ce titre car elle a elle-même trois enfants ; bien que je puisse pas dire qu’elle soit particulièrement surprotectrice avec ses enfants.
J’étais interpellé, vous savez, c’est une femme bien, de mon âge, et j’étais interpellé que çà l’ait touché. J’étais content de cela, vous savez, si vous pouvez... si cela a un sens...
Vance : Et puis nous avons le morceau Goodbye blue Sky. Qu’est-ce qui se passe à ce moment précis dans la vie de "Pink" ?
Waters : Jusqu’à que nous ayions finalisé l’album, je n’avais par réellement essayé de réflechir dessus mais je sais que cette partie est très floue. Je pense que le meilleur moyen de décrire ce titre est de le considérer comme une récapitulation, si vous voulez, de la première face. Donc, oui, c’est juste la remémorisation de son enfance et il est alors prêt pour poursuivre le reste de sa vie.
Vance : Nous avons ensuite la piste What shall we do now ?. On peut affirmer que cela parle de l’émergence de l’age adulte...
Waters : C’est juste. Maintenant, c’est un morceau qui n’est pas sur l’album. Cela aurait été bien! En fait, je pense que nous le ferons pendant le "show". Mais il est assez long et cette face etait assez longue, il y en avait trop. C’est basiquement la même chanson que Empty Spaces ; nous alors avons mis Empty Spaces là où il y avait What shall we do now ?
Vance : Car sans ces mots à écouter sur l’album...
Waters : ... Ouais, on perd du sens
Vance : Ce n’est pas tant que l’on perde du sens, cela veut juste dire qu’il y a toute une période de la vie de "Pink" qui n’est pas évoquée. Je veux dire, on saute immédiatement de la "récap" de la première face à Young Lust.
Waters : Et bien, non, on ne le fait pas, on saute dans Empty Spaces mais les paroles sont similaires aux quatre premiers strophes de What Shall we do now? Mais, ce qui est véritablement différent est la litanie : «devons-nous acheter une nouvelle guitare, conduire une voiture plus puissante, travailler dur tout la nuit» [« shall we buy a new guitar, drive a more powerful car, work right through the night »] vous savez et tout le reste.
Vance : «Arrêter de manger de la viande, ne dormir que rarement, parquer les gens comme des animaux» [« Give up meat, rarely sleep, keep people as pets »]
Waters : C’est vrai. Cela parle juste de la manière dont certaines personnes se protègent eux-mêmes de la tentation de s’isoler en devenant obssédés par les idées des autres gens. Si l’idée est que c’est bien de conduire... d’avoir une voiture puissante ou si vous êtes obssédé par l’idée d’être végétarien... vous adoptez les critères de quelqu’un d’autre pour vous-même.
Sans adopter la position de quelqu’un qui considère qu’il se définit vraiment lui-même, à ce niveau l’histoire est extrémement simpliste*.
J’espère qu’à d’autres niveaux, c’est moins évident, que plus de choses concrêtes sortiront de cela. Je pense que cela passe bien dans un "show" où vous pourrez entendre ces mots pendant le concert... mais vous ne voudrez probablement pas les entendre vue la façon dont les shows de rock and roll sont organisés.
* «Without considering them from a position of really being yourself; on this level the story is extremely simplistic».
Vance : Mais ils sont ici [sur la pochette] s’ils en ont besoin, bien sûr?
Waters : Ouais. C’est pour ça que nous n’allons pas engager une révolution* [ littérallement : «créér une grande panique»] en essayant de changer l’emballage intérieur et les autre trucs.
Je pense que c’est important qu’ils soient là afin que les gens les lisent. Je pense également que c’est important que les gens savent pourquoi elles sont là ; bien que que je sois d’accord pour dire que cela prête à confusion.
* «we didn't go into a great panic» ; littérallement : «créér une grande panique » !
Vance : Et nous arrivons au morceau qui s’appelle Young Lust. A l’instar de "Pink", la star de Rock and Roll, y a t’il eu dans votre jeunesse une période de sexualité irrépressible?
Waters : Et bien, oui, je suppose que oui cela m’est déjà arrivé. Mais je n’aurais jamais pu dire tout cela, vous voyez, je n’aurais jamais pu sortir de telles choses, j’étais trop effrayé.
Quand j’ai écrit la chanson Young Lust, les mots étaient assez différents, cela parlait du fait de quitter l’école, de vagabonder en ville, de tourner autour des facades de cinéma porno et des librairies coquines, d’être très intéressé par le sexe sans jamais avoir beaucoup d’expériences du fait de sa peur que cela engendre.
Maintenant, c’est devenu complétement différent, c’est tout l’intérêt de travailler ensemble sur l’album, particulièrement Dave Gilmour et Bob Ezrin avec lesquels nous avons coproduits à trois l’album. Young Lust est un pastiche. Je me souviens très bien d’un morceau que nous avons enregistré il y a des années et des années et qui s’appelait The Nile Song. C’est très proche, Dave chante dessus d’une manière très similaire. Je pense qu’il chante Young Lust superbement, j’adore la voix. Mais, le but était de faire un pastiche des groupes de Rock & Roll qui sont en tournée.
A Suivre...